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l’argent se soutiendra toujours, et se balancera avec la même quantité de marchandise. Or, dès que le billet n’est plus réciproquement convertible avec l’argent, il n’a plus aucune valeur, et c’est ce que je vais achever de démontrer en examinant l’autre supposition, qui est que le roi réduise absolument ses sujets à la monnaie de papier.

Je remarque qu’elle a un inconvénient général, qui est que la quantité étant arbitraire, jamais il ne peut y avoir un fondement assuré à sa balance avec les denrées. La valeur numéraire des monnaies changeant comme le poids, est toujours dans la même proportion. Mais dans le cas du papier unique valeur numéraire, rien n’est fixe, rien n’assure que les billets soient de la même somme numéraire, ni plus, ni moins, que tout l’argent qui était dans le royaume. Et quand on leur donnerait par l’hypothèse toute la confiance imaginable, si on augmente les billets du double, les denrées augmenteront du double, etc.

Il est donc faux premièrement que le système soit, comme l’avance l’abbé Terrasson, un moyen d’avoir toujours assez de signes des denrées pour les dépenses qu’on fait, puisqu’il est également contradictoire qu’il n’y ait pas assez d’argent pour contrebalancer les denrées, et qu’il puisse y en avoir trop, puisque le prix des denrées se rapporte à la rareté plus ou moins grande de l’argent, et n’est que l’expression de cette rareté.

En second lieu, l’avantage que tirera le roi du système ne sera qu’un avantage passager dans la création des billets, ou plutôt dans leur multiplication, mais qui s’évanouira bien vite, puisque les denrées augmenteront de prix à proportion du nombre des billets. Je vois ce qu’on répondra : « Il y a ici, dira-t-on, une différence d’avec la simple augmentation des valeurs numéraires par laquelle l’espèce s’augmente dans les mains de tous les particuliers chez qui elle est distribuée, et qui n’affecte rien que les dettes stipulées en valeurs numéraires. Mais lorsqu’il s’agit du papier de l’État, l’augmentation se fait entière dans la main du roi, qui se crée ainsi des richesses selon son besoin, et qui, ne mettant le billet dans la circulation qu’en le dépréciant, en a déjà tiré tout le profit quand, par sa circulation, ce billet commence à augmenter le prix des denrées. »

De là, qu’arrivera-t-il ? Le roi pourra, en se faisant ainsi des billets pour ses besoins, exempter totalement son peuple d’impôts, et