Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/225

Cette page a été validée par deux contributeurs.

le billet tient lieu de monnaie, ce n’est plus un crédit. Law l’a bien senti, et il déclare que son papier circulant est véritablement une monnaie ; il prétend qu’elle est aussi bonne que celle d’or et d’argent. « Ces deux métaux, dit l’abbé Terrasson, ne sont que les signes qui représentent les richesses réelles, c’est-à-dire les denrées. Un écu est un billet conçu en ces termes : Un vendeur quelconque donnera au porteur la denrée ou marchandise dont il aura besoin jusqu’à la concurrence de trois livres, pour autant d’une autre marchandise qui m’a été livrée ; et l’effigie du prince tient lieu de signature. Or, qu’importe que le signe soit d’argent ou de papier ? Ne vaut-il pas mieux choisir une matière qui ne coûte rien, qu’on ne soit pas obligé de retirer du commerce où elle est employée comme marchandise, enfin qui se fabrique dans le royaume et qui ne nous mette pas dans une dépendance nécessaire des étrangers et possesseurs des mines, qui profitent avidement de la séduction où, l’éclat de l’or et de l’argent a fait tomber les autres peuples ; une matière qu’on puisse multiplier selon ses besoins, sans craindre d’en manquer jamais, enfin qu’on ne soit jamais tenté d’employer à un autre usage qu’à la circulation ? Le papier a tous ces avantages, qui le rendent préférable à l’argent. » — Ce serait un grand bien que la pierre philosophale, si tous ces raisonnements étaient justes ; car on ne manquerait jamais d’or ni d’argent pour acheter toutes sortes de denrées. Mais était-il permis à Law d’ignorer que l’or s’avilit en se multipliant, comme toute autre chose ? S’il avait lu et médité Locke, qui avait écrit vingt ans avant lui, il aurait su que toutes les denrées d’un État se balancent toujours entre elles et avec l’or et l’argent, suivant la proportion de leur quantité et de leur débit ; il aurait appris que l’or n’a point une valeur intrinsèque qui réponde toujours à une certaine quantité de marchandise ; mais que quand il y a plus d’or il est moins cher, et qu’on en donne plus pour une quantité déterminée de marchandise ; qu’ainsi l’or, quand il circule librement, suffit toujours au besoin d’un État, et qu’il est fort indifférent d’avoir 100 millions de marcs ou un million, si on achète toutes les denrées plus cher dans la même proportion. Il ne se serait pas imaginé que la monnaie n’est qu’une richesse de signe dont le crédit est fondé sur la marque du prince.

Cette marque n’est que pour en certifier le poids et le titre. Dans leur même rapport avec les denrées, l’argent non monnayé est au