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objet de besoin. L’intérêt fixe toujours le résultat de cette comparaison ; mais il ne l’a jamais faite ni pu faire.

Le seul moyen d’énoncer la valeur est donc, comme nous l’avons dit, d’énoncer qu’une chose est égale à une autre en valeur ; ou, si l’on veut, en d’autres termes, de présenter une valeur comme égale à la valeur cherchée. La valeur n’a, ainsi que l’étendue, d’autre mesuré qu’elle-même ; et si l’on mesure les valeurs en y comparant des valeurs, comme on mesure des longueurs en y appliquant des longueurs, dans l’un et l’autre moyens de comparaison il n’y a point d’unité fondamentale donnée par la nature, il n’y a qu’une unité arbitraire et de convention. Puisque dans tout échange, il y a deux valeurs égales, et qu’on peut donner la mesure de l’une en énonçant l’autre, il faut convenir de l’unité arbitraire qu’on prendra pour fondement de cette mesure, ou si l’on veut pour élément de la numération des parties dont on composera son échelle de comparaison des valeurs. Supposons qu’un des deux contractants de l’échange veuille énoncer la valeur de la chose qu’il acquiert, il prendra pour unité de son échelle des valeurs une partie constante de ce qu’il donne, et il exprimera en nombres et en fractions de cette unité la quantité qu’il en donne pour une quantité fixe de la chose qu’il reçoit. Cette quantité énoncera pour lui la valeur, et sera le prix de la chose qu’il reçoit ; d’où l’on voit que le prix est toujours l’énonciation de la valeur, et qu’ainsi, pour l’acquéreur, énoncer la valeur c’est dire le prix de la chose acquise, en énonçant la quantité de celle qu’il donne pour l’acquérir. Il dira donc indifféremment que cette quantité est la valeur, ou est le prix de ce qu’il achète. — En employant ces deux façons de parler, il aura le même sens dans l’esprit, et fera naître le même sens dans l’esprit de ceux qui l’entendent ; ce qui fait sentir comment les deux mots de valeur et de prix, quoique exprimant des notions essentiellement différentes, peuvent être sans inconvénient substitués l’un à l’autre dans le langage ordinaire, lorsqu’on n’y recherche pas une précision rigoureuse.

Il est assez évident que si un des deux contractants a pris une certaine partie arbitraire de la chose qu’il donne pour mesurer la valeur de la chose qu’il acquiert, l’autre contractant aura le même droit à son tour de prendre cette même chose acquise par son antagoniste, mais donnée par lui-même, pour mesurer la valeur de la chose que lui a donnée son antagoniste, et qui servait de mesure à