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dent que cette expression (le prix) convient toujours réciproquement aux choses commercées, qui sont également le prix l’une de l’autre. Le prix et la chose achetée, ou si l’on veut les deux prix, ont une valeur égale : le prix vaut l’emplette et l’emplette vaut le prix ; mais le nom de valeur, à parler rigoureusement, ne convient pas mieux à l’un des deux termes de l’échange qu’à l’autre. Pourquoi donc emploie-t-on ces deux termes l’un pour l’autre ? En voici la raison, dont l’explication nous fera faire encore un pas dans la théorie des valeurs.

Cette raison est l’impossibilité d’énoncer la valeur en elle-même. On se convainc facilement de cette impossibilité pour peu qu’on réfléchisse sur ce que nous avons dit et démontré de la nature des valeurs.

Comment trouver en effet l’expression d’un rapport dont le premier terme, le numérateur, l’unité fondamentale, est une chose inappréciable, et qui n’est bornée que de la manière la plus vague ? Comment pourrait-on prononcer que la valeur d’un objet correspond à la deux-centième partie des facultés de l’homme, et de quelles facultés parlerait-on ? Il faut certainement faire entrer dans le calcul de ces facultés la considération du temps ; mais à quel intervalle se fixera-t-on ? Prendra-t-on la totalité de la vie, ou une année, ou un mois, ou un jour ? Rien de tout cela, sans doute ; car, relativement à chaque objet de besoin, les facultés de l’homme doivent être, pour se les procurer, indispensablement employées pendant des intervalles plus ou moins longs, et dont l’inégalité est très-grande. Comment apprécier ces intervalles d’un temps qui, en s’écoulant à la fois pour toutes les espèces de besoins de l’homme, ne doit cependant entrer dans le calcul que pour des durées inégales, relativement à chaque espèce de besoin ? Comment évaluer des parties imaginaires dans une durée toujours une, et qui s’écoule, si l’on peut s’exprimer ainsi, sur une ligne indivisible ? Et quel fil pourrait guider dans un pareil labyrinthe de calculs, dont tous les éléments sont indéterminés ? Il est donc impossible d’exprimer la valeur en elle-même ; et tout ce que peut énoncer à cet égard le langage humain, c’est que la valeur d’une chose égale la valeur d’une autre. L’intérêt apprécié, ou plutôt senti par deux hommes, établit cette équation dans chaque cas particulier, sans qu’on ait jamais pensé à sommer les facultés de l’homme pour en comparer le total à chaque