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che de chacun des objets échangés et la somme des facultés de ces deux hommes. — Il est bon d’observer ici que l’introduction de l’échange entre nos deux hommes augmente la richesse de l’un et de l’autre, c’est-à-dire leur donne une plus grande quantité de jouissances avec les mêmes facultés. Je suppose, dans l’exemple de nos deux sauvages, que la plage qui produit le maïs et celle qui produit le bois soient éloignées l’une de l’autre : un sauvage seul serait obligé de faire deux voyages pour avoir sa provision de maïs et celle de bois ; il perdrait par conséquent beaucoup de temps et de fatigue à naviguer. Si au contraire ils sont deux, ils emploieront, l’un à couper du bois, l’autre à se procurer du maïs, le temps et le travail qu’ils auraient mis à faire le second voyage. La somme totale du maïs et du bois recueilli sera plus forte et par conséquent la part de chacun.

Revenons. Il suit de notre définition de la valeur appréciative qu’elle n’est point le rapport entre les deux choses échangées ou entre le prix et la chose vendue, comme quelques personnes ont été tentées de le penser. Cette expression manquerait absolument de justesse dans la comparaison des deux valeurs, des deux termes de l’échange. Il y a un rapport d’égalité, et ce rapport d’égalité suppose deux choses déjà égales ; or, ces deux choses égales ne sont point les deux choses échangées, mais bien les valeurs des choses échangées. On ne peut donc confondre les valeurs qui ont un rapport d’égalité, avec ce rapport d’égalité qui suppose deux valeurs comparées. Il y a sans doute un sens dans lequel les valeurs ont un rapport, et nous l’avons expliqué plus haut en approfondissant la nature de la valeur estimative ; nous avons même dit que ce rapport pouvait, comme tout rapport, être exprimé par une fraction. C’est précisément l’égalité entre ces deux fractions qui forme la condition essentielle de l’échange, égalité qui s’obtient en fixant la valeur appréciative à la moitié de la différence entre les deux valeurs estimatives.

Dans le langage du commerce, on confond souvent sans inconvénients le prix avec la valeur, parce qu’effectivement l’énonciation du prix renferme toujours l’énonciation de la valeur. Ce sont pourtant des notions différentes qu’il importe de distinguer. — Le prix est la chose qu’on donne en échange d’une autre. De cette définition il suit évidemment que cette autre chose est aussi le prix de la première : quand on parle de l’échange, il est presque superflu d’en faire la remarque, et comme tout commerce est échange, il est évi-