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un premier commerce où elle ne fournit rien qu’il ne paye par son travail, par l’emploi de ses facultés et de son temps.

Son capital, dans ce genre de commerce, est renfermé dans des limites étroites ; il faut qu’il y proportionne la somme de ses jouissances ; il faut que dans l’immense magasin de la nature il fasse un choix, et qu’il partage ce prix dont il peut disposer entre les différents objets qui lui conviennent, qu’il les évalue à raison de leur importance pour sa conservation et son bien-être. Et cette évaluation, qu’est-ce autre chose que le compte qu’il se rend à lui-même de la portion de sa peine et de son temps, ou, pour exprimer ces deux choses en un seul mot, de la portion de ses facultés qu’il peut employer à la recherche de l’objet évalué sans y sacrifier celle d’autres objets également ou plus importants ?

Quelle est donc ici sa mesure des valeurs ? quelle est son échelle de comparaison ? Il est évident qu’il n’en a pas d’autre que ses facultés mêmes. La somme totale de ses facultés est la seule unité de cette échelle, le seul point fixe d’où il puisse partir, et les valeurs qu’il attribue à chaque objet sont des parties proportionnelles de cette échelle. Il suit de là que la valeur estimative d’un objet, pour l’homme isolé, est précisément la portion du total de ses facultés qui répond au désir qu’il a de cet objet, ou celle qu’il veut employer à satisfaire ce désir. On peut dire, en d’autres termes, que c’est le rapport de cette partie proportionnelle au total des facultés de l’homme, rapport qui s’exprimerait par une fraction, laquelle aurait pour numérateur le nombre de valeurs ou de parties proportionnelles égales que contient la totalité des facultés de l’homme.

Nous ne pouvons ici nous refuser une réflexion. Nous n’avons pas encore vu naître le commerce ; nous n’avons pas encore assemblé deux hommes, et dès ce premier pas de nos recherches nous touchons à une des plus profondes vérités et des plus neuves que renferme la théorie générale des valeurs. C’est cette vérité que M. l’abbé Gagliani énonçait il y a vingt ans, dans son traité della Moneta, avec tant de clarté et d’énergie, mais presque sans développement, en disant que la commune mesure de toutes les valeurs est l’homme. Il est vraisemblable que cette même vérité, confusément entrevue par l’auteur d’un ouvrage qui vient de paraître sous le titre d’Essai analytique sur la richesse et l’impôt, a donné naissance à la doctrine de la valeur constante et unique toujours exprimée par l’unité, et