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bien évident qu’entre deux choses également utiles et d’une égale excellence, celle qu’il aura beaucoup de peine à retrouver lui paraîtra bien plus précieuse, et qu’il emploiera bien plus de soins et d’efforts à se la procurer. C’est par cette raison que l’eau, malgré sa nécessité et la multitude d’agréments qu’elle procure à l’homme, n’est point regardée comme une chose précieuse dans les pays bien arrosés ; que l’homme ne cherche point à s’en assurer la possession, parce que l’abondance de cette substance la lui fait trouver sous sa main. Mais dans les déserts de sable, elle serait d’un prix infini.

Nous n’en sommes pas encore à l’échange, et voilà déjà la rareté, un des éléments de l’évaluation. — Il faut remarquer que cette estime attachée à la rareté est encore fondée sur un genre particulier d’utilité, car c’est parce qu’il est plus utile de s’approvisionner d’avance d’une chose difficile à trouver, qu’elle est plus recherchée et que l’homme met plus d’efforts à se l’approprier.

On peut réduire à ces trois considérations toutes celles qui entrent dans la fixation de ce genre de valeur relative à l’homme isolé ; ce sont là les trois éléments qui concourent à la former. Pour la désigner par un nom qui lui soit propre, nous l’appellerons valeur estimative, parce qu’elle est effectivement l’expression du degré d’estime que l’homme attache aux différents objets de ses désirs.

Il n’est pas utile d’appuyer sur cette notion, et d’analyser ce que c’est que ce degré d’estime qu’attache l’homme aux différents objets de ses désirs ; quelle est la nature de cette évaluation, ou le terme moyen auquel les valeurs de chaque objet en particulier sont comparées ; quelle est la numération de cette échelle de comparaison ; quelle en est l’unité.

En y réfléchissant, nous verrons que la totalité des objets nécessaires à la conservation et au bien-être de l’homme correspond à une somme de besoins qui, malgré toute leur étendue et leur variété, est assez bornée.

Il n’a pour se procurer la satisfaction de ces besoins qu’une mesure plus bornée encore de forces ou de facultés. Chaque objet particulier de ses jouissances lui coûte des soins, des fatigues, des travaux et au moins du temps. C’est cet emploi de ses facultés appliquées à la recherche de chaque objet qui fait la compensation de sa jouissance et pour ainsi dire le prix de l’objet. L’homme est encore seul, la nature seule fournit à ses besoins, et déjà il fait avec elle