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rents objets dans ces jugements du sauvage et de l’enfant ; mais ces évaluations n’ont rien de fixe, elles changent d’un moment à l’autre, suivant que les besoins de l’homme varient. Lorsque le sauvage a faim, il fera plus de cas d’un morceau de gibier que de la meilleure peau d’ours ; mais que sa faim soit satisfaite et qu’il ait froid, ce sera la peau d’ours qui lui deviendra précieuse.

Le plus souvent, le sauvage borne ses désirs à la satisfaction du besoin présent, et quelle que soit la quantité des objets dont il peut user, dès qu’il en a pris ce qu’il lui faut, il abandonne le reste, qui ne lui est bon à rien.

L’expérience apprend cependant à notre sauvage que parmi les objets propres à ses jouissances, il en est quelques-uns que leur nature rend susceptibles d’être conservés pendant quelque temps et qu’il peut accumuler pour les besoins à venir : ceux-là conservent leur valeur, même lorsque le besoin du moment est satisfait. Il cherche à se les approprier, c’est-à-dire à les mettre dans un lieu sûr où il puisse les cacher ou les défendre. On voit que les considérations qui entrent dans l’estimation de cette valeur, uniquement relative à l’homme qui jouit ou qui désire, se multiplient beaucoup par ce nouveau point de vue qu’ajoute la prévoyance au premier sentiment du besoin. — Lorsque ce sentiment, qui d’abord n’était que momentané, prend un caractère de permanence, l’homme commence à comparer entre eux ses besoins, à proportionner la recherche des objets non plus uniquement à l’impulsion rapide du besoin présent, mais à l’ordre de nécessité et d’utilité des différents besoins.

Quant aux autres considérations par lesquelles cet ordre d’utilité plus ou moins pressante est balancé ou modifié, une des premières qui se présente est l’excellence de la chose, ou son aptitude plus ou moins grande à satisfaire le genre de désir qui la fait rechercher. Il faut avouer que cet ordre d’excellence rentre un peu, par rapport à l’estimation qui en résulte, dans l’ordre d’utilité, puisque l’agrément de la jouissance plus vive que produit ce degré d’excellence est lui-même un avantage que l’homme compare avec la nécessité plus urgente des choses dont il préfère l’abondance à l’excellence d’une seule.

Une troisième considération est la difficulté plus ou moins grande que l’homme envisage à se procurer l’objet de ses désirs ; car il est