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fait vague ; l’Angleterre a prospéré. Il savait mieux que personne que c’était malgré cela, non à cause de cela.

La dernière partie de son cinquième livre, en si grande opposition à sa propre doctrine et à tout le reste de son ouvrage, pourrait se résumer en ces mots : « Malgré ce que f ai prouvé contre les obstacles mis au développement de l’industrie et du travail, au libre emploi des capitaux, et à la facilité des communications, les mauvaises impositions de l’Angleterre, que des circonstances locales rendent un peu moins vexatoires que celles de même nature qui ont eu lieu dans d’autres pays (proposition incidente qu’il n’a nullement prouvée), n’ont pas empêché que les richesses de ma nation n’aient fait des progrès, même rapides. »

Nul n’aurait mieux indiqué et calculé que lui quelle aurait donc été la progression de la richesse dans sa patrie sans ces obstacles.

Dès qu’une nation est parvenue à se former quelques capitaux, et que les terres y sont devenues vénales, il est impossible que les richesses n’y augmentent pas d’elles-mêmes. Et cela est facile à sentir.

Nul travail ne peut se faire sans que l’ouvrier soit payé de manière à en retirer directement sa subsistance et l’entretien de ses instruments.

Nul capital ne peut être employé constamment à fournir des instruments ou à salarier des ouvriers, sans que celui qui en fait l’avance en obtienne le remboursement de ce capital, et un intérêt ; car personne ne veut avancer son argent ou ses autres richesses sans y faire aucun profit.

Quand les terres sont vénales, celui qui s’est procuré un capital pouvant l’employer en achats de terres, ne le consacre à aucune autre entreprise s’il n’y voit pas pour lui un profit au moins égal au revenu que lui produirait un achat de terre.

Aucune denrée ne peut donc être produite, aucune marchandise ne peut être fabriquée, ni les unes ni les autres ne peuvent être habituellement vendues sans que leur prix assure l’intérêt de ses avances au capitaliste qui les a faites.

Mais tous les ouvriers, et l’entretien de tous les instruments, celui de toutes les usines, étant nécessairement payés sur le prix de la vente, et même de préférence encore à l’intérêt du capital, il y a donc toujours dans toute entreprise qui continue, au profit du capitaliste, et outre même la rétribution de son travail personnel, l’intérêt du capital qu’il avait déboursé, dont il ne pourrait être dépouillé sans vouloir renoncer à son entreprise ; et si le capital est assez fort pour que son intérêt excède la dépense du capitaliste, il ne peut en jouir sans que cet intérêt se cumule avec le capital primitif et l’accroisse progressivement.

C’est ce que M. Turgot a établi avec la plus grande évidence dans ses paragraphes LVII, LVIII, LIX, LX, LXI, LXII, LXIII, LXVII, LXVIII, LXXI, LXXII, LXXXVII, LXXXVIII, LXXXIX, XC et XCII.

Or, la puissance des intérêts cumulés pour accroître les capitaux, baisser l’intérêt de l’argent, fournir de nouveaux moyens de faire des entreprises utiles, et perfectionner sans cesse le travail, est telle, que les plus grandes erreurs des gouvernements, ou les malheurs même de la guerre quand ils ne sont pas une dévastation de barbares, ne peuvent que rarement empêcher les richesses, les lumières des sciences excitées par l’emploi des richesses, et toutes les commodités de la vie qui en résultent, d’augmenter au moins de siècle en siècle l’aisance et le bonheur du genre humain.