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finance de l’Angleterre, et les inconvénients, les dangers, les maux réels et graves attachés à la nature de ses impositions.

Il paraît avoir été effrayé du jugement sévère que tout son livre conduisait à porter sur la multitude de perceptions anglaises qui gênent la liberté du travail, celle du commerce, celle des actions innocentes, celle dont un citoyen, et principalement au sein d’une république comme la Grande-Bretagne, doit jouir dans sa maison ; et sur les vexations, sur les abus inévitables de ces formes de perceptions.

Après avoir démontré, par ses quatre premiers livres, combien elles devaient s’opposer à la production des richesses, et en retarder la marche, il a voulu laisser croire qu’il ne les trouvait cependant pas si nuisibles.

Il a poussé cette faiblesse, si étonnante de la part d’un génie tel que le sien, jusqu’à dire que « les impôts sur les consommations, notamment ceux sur le sucre, le thé, la bière et le tabac, ne haussent pas le prix des salaires ; qu’ils n’agissent que comme des lois somptuaires ; et que par une frugalité forcée ils tournent même à l’avantage de la famille du salarié. »

Son habile et judicieux traducteur, M. le sénateur Germain Garnier, a déjà réfuté victorieusement ces erreurs du livre de Smith, qui n’étaient pas et ne pouvaient pas être celles de son esprit, qui ne sont qu’un sacrifice qu’il a cru devoir faire aux opinions populaires de sa patrie. — Dans les circonstances où se trouvait et où est encore son gouvernement, il a jugé que, pour maintenir la tranquillité publique, il ne fallait pas y éclairer les yeux malades d’une lumière trop vive, et qui portât trop directement sur eux.

Nous ne devons point aux finances de l’Angleterre ce ménagement, et nous ne croyons pas qu’il leur ait été aussi utile que Smith a paru se le persuader. — Toute erreur nuit à ceux qui l’ont, et à leurs voisins. Nous sommes voisins des Anglais, et nous avons aussi une patrie.

Des lois somptuaires sont des lois prohibitives de tel ou tel usage de la liberté. Jamais on n’a mieux établi que ne l’a fait Smith, combien les lois prohibitives, en gênant les conventions, arrêtent ou ralentissent les efforts du travail et en affaiblissent les motifs. — Et encore n’y a-t-il aucune ressemblance entre les privations causées par la pauvreté, qui se répandent sur toutes les espèces de consommations, et les injonctions des lois somptuaires qui n’interdisent qu’un petit nombre de consommations de peu d’utilité ou de pur agrément. Les envisager sous le même aspect, c’est tomber dans une bien grande inexactitude. Et que faut-il en dire, ou en croire, quand la chose arrive à un écrivain comme Smith, dont l’exactitude, même quelquefois minutieuse, est en général un des mérites distinctifs et particuliers ?

Les objets de la consommation relative à la subsistance nécessaire et journalière, ne peuvent être confondus avec les choses de luxe qui ne servent pas à des besoins réels, sur lesquelles frappent ordinairement les lois somptuaires, et qui cependant ne doivent être repoussées que par l’exemple des chefs de l’État, par les mœurs, non par les lois.

On ne met jamais les impôts de consommation que sur des denrées dont la consommation est générale et nécessaire aux plus pauvres citoyens ; car ceux qui ne pèseraient que sur le luxe ne produiraient pas les frais que coûterait leur perception.

Une frugalité forcée ne saurait être à l’avantage de la famille oui s’y voit réduite.

Les mœurs et le climat de l’Angleterre y font de la bière et du thé des