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sidéré comme marchand d’une denrée absolument nécessaire à la production des richesses, et qui ne saurait être à trop bas prix. Il est aussi déraisonnable de charger son commerce d’un impôt, que de mettre un impôt sur le fumier qui sert à engraisser les terres. Concluons de là que le prêteur d’argent appartient bien à la classe disponible, quant à sa personne, parce qu’il n’a rien à faire, mais non quant à la nature de sa richesse, soit que l’intérêt de son argent soit payé par le propriétaire des terres sur une portion de son revenu, ou qu’il soit payé par un entrepreneur sur la partie de ses profits affectée à l’intérêt des avances.

§ XCVI. — Objection.

On me dira sans doute que le capitaliste a pu indifféremment ou prêter son argent, ou l’employer en acquisition de terres ; que dans l’un et l’autre cas il ne tire qu’un prix équivalent de son argent, et que, de quelque façon qu’il l’ait employé, il ne doit pas moins contribuer aux dépenses publiques.

§ XCVII. — Réponse à l’objection.

Je réponds premièrement qu’à la vérité, lorsque le capitaliste a acheté une terre, le revenu équivaut pour lui à ce qu’il aurait retiré de son argent en le prêtant, mais il y a cette différence essentielle pour l’État, que le prix qu’il donne pour sa terre ne contribue en rien au revenu qu’elle produit ; elle n’en aurait pas donné moins de revenu quand il ne l’aurait pas achetée : ce revenu est, comme nous l’avons expliqué, ce que la terre donne au delà du salaire des cultivateurs, de leurs profits et de l’intérêt de leurs avances. Il n’en est pas de même de l’intérêt du prêt ; il est la condition même du prêt, le prix de l’avance, sans lequel le revenu ou les profits qui servent à les payer n’existeraient pas.

Je réponds en second lieu que, si les terres étaient chargées seules de la contribution aux dépenses publiques, dès qu’une fois cette contribution serait réglée, le capitaliste qui les achèterait ne compterait pas dans l’intérêt de son argent la partie du revenu affectée à cette contribution : de même qu’un homme qui achète aujourd’hui une terre n’achète pas la dîme que reçoit le curé, ni même l’impôt connu, mais le revenu qui reste, déduction faite de cette dîme et de cet impôt[1].

  1. Telle est la vérité sur laquelle est fondée cette observation générale des éco-