Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/186

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pas de niveau, mais la hauteur de l’une ne pourrait augmenter sans que l’autre montât aussi dans la branche opposée.

Je suppose que tout à coup un très-grand nombre de propriétaires de terres veuillent les vendre : il est évident que le prix des terres baissera, et qu’avec une somme moindre on acquerra un plus grand revenu. Cela ne peut arriver sans que l’intérêt de l’argent devienne plus haut ; car les possesseurs d’argent aimeront mieux acheter des terres que de le prêter à un intérêt qui ne serait pas plus fort que le revenu des terres qu’ils achèteraient. Si donc les emprunteurs veulent avoir de l’argent, ils seront obligés d’en payer un loyer plus fort. Si l’intérêt de l’argent devient plus haut, on aimera mieux le prêter que de le faire valoir, d’une manière plus pénible et plus risquable, dans les entreprises de culture, d’industrie et de commerce, et l’on ne fera d’entreprises que celles qui rapporteront, outre les salaires du travail, un profit beaucoup plus grand que le taux de l’argent prêté. En un mot, dès que les profits résultant d’un emploi quelconque augmentent ou diminuent, les capitaux s’y versent en se retirant des autres emplois, ou s’en retirent en se versant sur les autres emplois ; ce qui change nécessairement dans chacun de ces emplois le rapport du capital au produit annuel. En général, l’argent converti en fonds de terre rapporte moins que l’argent prêté, et l’argent prêté rapporte moins que l’argent employé dans les entreprises laborieuses ; mais le produit de l’argent employé de quelque manière que ce soit, ne peut augmenter ou diminuer sans que tous les autres emplois éprouvent une augmentation ou une diminution proportionnée.

§ LXXXVIII. — L’intérêt courant de l’argent est le thermomètre de l’abondance ou de la rareté des capitaux ; il mesure l’étendue qu’une nation peut donner à ses entreprises de culture, de fabrique et de commerce.

L’intérêt courant de l’argent prêté peut donc être regardé comme une espèce de thermomètre de l’abondance ou de la rareté des capitaux chez une nation, et de l’étendue des entreprises de toute espèce auxquelles elle peut se livrer ; il est évident que plus l’intérêt de l’argent est bas, plus les terres ont de valeur. Un homme qui a cinquante mille livres de rentes, si les terres ne se vendent qu’au denier vingt, n’a qu’une richesse d’un million ; il a deux millions si les terres se vendent au denier quarante.

Si l’intérêt est à cinq pour cent, toute terre à défricher, dont les