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Ce n’est donc pas la quantité d’argent existant comme métal qui fait hausser ou baisser l’intérêt de l’argent, ou qui met dans le commerce plus d’argent offert à prêter ; c’est uniquement la somme de capitaux existante dans le commerce, c’est-à-dire la somme actuelle des valeurs mobiliaires de toute espèce, accumulées, épargnées successivement sur les revenus et les profits pour être employées à procurer au possesseur de nouveaux revenus et de nouveaux profits. Ce sont ces épargnes accumulées[1] qui sont offertes aux emprunteurs, et plus il y en a, plus l’intérêt de l’argent est bas, à moins que le nombre des emprunteurs ne soit augmenté à proportion.

§ LXXX. — L’esprit d’économie dans une nation augmente sans cesse la somme des capitaux ; le luxe tend sans cesse à les détruire.

L’esprit d’économie[2] dans une nation tend à augmenter sans cesse la somme de ses capitaux, à accroître le nombre des prêteurs, à diminuer celui des emprunteurs. L’habitude du luxe fait précisément le contraire, et par ce qui a déjà été remarqué sur l’usage des capitaux dans toutes les entreprises de culture, d’industrie et de commerce, on peut juger si le luxe enrichit une nation ou s’il l’appauvrit.

§ LXXXI. — L’abaissement de l’intérêt prouve qu’en général l’économie a prévalu, dans l’Europe, sur le luxe.

Puisque l’intérêt de l’argent a sans cesse diminué en Europe depuis quelques siècles, il faut en conclure que l’esprit d’économie a été plus général que le luxe. Il n’y a que les gens riches qui se livrent au luxe, et parmi les riches, tous ceux qui sont raisonnables se bornent à dépenser leur revenu et sont très-attentifs à ne point entamer leurs capitaux. Ceux qui veulent s’enrichir sont en bien plus grand nombre dans une nation que les riches ; or, dans l’état actuel des choses, où toutes les terres sont occupées, il n’y a qu’un seul moyen de devenir riche : c’est d’avoir ou de se procurer, de quelque manière que ce soit, un revenu ou un profit annuel au delà du nécessaire absolu pour la subsistance, et de mettre, chaque année,

  1. Voyez les deux notes précédentes.
  2. Les lecteurs ne manqueront pas de se rappeler que le mot d’économie doit être pris ici dans le sens de bonne administration, qui proscrit les dépenses folles, pour s’occuper avec intelligence des dépenses conservatrices et productives. Les avares qui épargnent beaucoup sont de mauvais économes. (Voyez la note de la page 49.) (Note de Dupont de Nemours.)