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§ LXXVIII. — Dans l’évaluation de l’argent comparé aux denrées, c’est l’argent considéré comme métal qui est l’objet de l’appréciation. Dans l’évaluation du denier de l’argent, c’est l’usage de l’argent pendant un temps déterminé qui est l’objet de l’appréciation.

Au marché, une mesure de blé se balance avec un certain poids d’argent ; c’est une quantité d’argent qu’on achète avec la denrée ; c’est cette quantité qu’on apprécie et qu’on compare avec d’autres valeurs étrangères. — Dans le prêt à intérêt, l’objet de l’appréciation est l’usage d’une certaine quantité de valeurs pendant un certain temps. Ce n’est plus une masse d’argent qu’on compare à une masse de blé ; c’est une masse de valeurs qu’on compare avec une portion déterminée d’elle-même, qui devient le prix de l’usage de cette masse pendant un certain temps. Que vingt mille onces d’argent soient au marché l’équivalent de vingt mille mesures de blé, ou seulement de dix mille ; l’usage de ces vingt mille onces d’argent pendant un an ne vaudra pas moins dans le commerce du prêt la vingtième partie de la somme principale, ou mille onces d’argent si l’intérêt est au denier vingt.

§ LXXIX. — Le prix de l’intérêt dépend immédiatement du rapport de la demande des emprunteurs avec l’offre des prêteurs ; et ce rapport dépend principalement de la quantité de richesses mobiliaires accumulées par l’épargne des revenus et des produits annuels pour en former des capitaux, soit que ces capitaux existent en argent ou en tout autre genre d’effets ayant une valeur dans le commerce.

Le prix de l’argent au marché n’est relatif qu’à la quantité de ce métal employée dans les échanges courants ; mais le taux de l’intérêt est relatif à la quantité de valeurs accumulées et mises en réserve pour former des capitaux. Il est indifférent que ces valeurs soient en métal ou en autres effets, pourvu que ces effets soient faciles à convertir en argent.

Il s’en faut bien que la masse du métal qui existe dans un État soit aussi forte que la somme des valeurs qui se prêtent à intérêt dans le cours d’une année ; mais tous les capitaux en meubles, en marchandises, en outils, en bestiaux, tiennent lieu de cet argent et le représentent. Un papier signé d’un homme qui a pour cent mille francs d’effets bien connus, et qui promet de payer cent mille francs à tel terme, se donne jusqu’à ce terme pour cent mille francs. Tous les capitaux de celui qui a signé ce billet répondent du payement, quelle que soit la nature des effets qu’il a en sa possession, pourvu qu’il ait une valeur de cent mille francs.