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L’introduction de la culture adoucit un peu les mœurs sans les corriger entièrement, et d’une manière qui rendit la dépravation moins cruelle, mais plus universelle, et ainsi plus réellement dangereuse pour l’humanité en général. — Les plus forts pensèrent qu’au lieu de tuer les plus faibles, on trouverait du profit à se les approprier et à leur faire travailler la terre comme esclaves.

Dès que cette abominable coutume a été établie, les guerres sont devenues encore plus fréquentes. Avant cette époque, elles n’arrivaient que par accident ; depuis, on les a entreprises précisément dans la vue de faire des esclaves, que les vainqueurs forçaient de travailler pour leur compte ou qu’ils vendaient à d’autres. Tel a été le principal objet des guerres que les anciens peuples se faisaient, et ce brigandage et ce commerce règnent encore dans toute leur horreur sur les côtes de Guinée, où les Européens le fomentent en allant acheter des noirs pour la culture des colonies d’Amérique.

§ XXII. — Portion que la nature assure aux cultivateurs, même esclaves, sur le produit de leurs travaux.

Les esclaves n’ont aucune justice à réclamer utilement vis-à-vis de gens qui n’ont pu les réduire en esclavage sans violer toutes les lois de l’ordre et de la morale, et tous les droits de l’humanité.

Cependant, la loi physique de la nature leur assure encore une part aux productions qu’ils font naître, car il faut bien que le maître les nourrisse pour profiter de leur travail. Mais cette espèce de salaire est bornée au plus étroit nécessaire et à leur subsistance.

§ XXIII. — Combien la culture exécutée par les esclaves est peu profitable et chère pour le maître et pour l’humanité.

Les esclaves n’ont aucun motif pour s’acquitter des travaux auxquels on les contraint, avec l’intelligence et les soins qui pourraient en assurer le succès ; d’où suit que ces travaux produisent très-peu.

Les maîtres avides ne savent autre chose, pour suppléer à ce défaut de production qui résulte nécessairement de la culture par esclaves, que de forcer ceux-ci à des travaux encore plus rudes, plus continus et plus violents. Ces travaux excessifs en font périr beaucoup, et il faut, pour entretenir toujours le nombre nécessaire à la culture, que le commerce en fournisse chaque année une très-grande quantité, que les maîtres sont obligés de racheter, Ainsi ils ne donnent point de salaires à leurs esclaves, mais ils payent un capital considérable pour se procurer ces mauvais ouvriers, et comme