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immédiatement le prix de son travail. La nature ne marchande point avec lui pour l’obliger à se contenter du nécessaire absolu. Ce qu’elle donne n’est proportionné ni à ses besoins ni à une évaluation conventionnelle du prix de ses journées ; c’est le résultat physique de la fertilité du sol et de la justesse bien plus que de la difficulté des moyens qu’il a employés pour le rendre fécond. Dès que le travail du laboureur produit au delà de ses besoins, il peut, avec ce superflu que la nature lui accorde en pur don au delà du salaire de ses peines, acheter le travail des autres membres de la société. Ceux-ci en le lui vendant ne gagnent que leur vie ; mais le laboureur recueille, outre sa subsistance, une richesse indépendante et disponible, qu’il n’a point achetée et qu’il vend. Il est donc l’unique source des richesses qui par leur circulation animent tous les travaux de la société, parce qu’il est le seul dont le travail produise au delà du salaire du travail.

§ VIII. — Première division de la société en deux classes : l’une productrice, ou classe des cultivateurs, l’autre stipendiée, ou classe des artisans[1].

Voilà donc toute la société partagée, par une nécessité fondée sur la nature des choses, en deux classes, toutes deux laborieuses,

    nourriture qu’il ne lui est nécessaire. C’eût été sans doute une trivialité, mais, énoncée ainsi, la pensée de Turgot eût été comprise à l’instant.

    Mais si ce fait est vrai, ce n’est pas une raison pour en tirer la conséquence qu’en tire l’auteur, à savoir, que le laboureur seul profite de cet excédant — L’appropriation même du sol ne détermine ce résultat que lorsque le propriétaire est privilégié par des lois dites de protection. Dans le régime de liberté, le commerce est un remède efficace à cette distribution inégale, et lorsque le laboureur à lui seul obtient par son travail la subsistance de deux, de trois ou de dix travailleurs, il se trouve que la répartition s’égalise entre eux. — Ce résultat n’a pas toujours lieu, nous le savons ; le propriétaire aujourd’hui prélève la part de plusieurs, mais ce n’est pas parce qu’il est propriétaire, c’est parce qu’il a abusé de son pouvoir pour faire des lois de monopole, que l’économie politique condamne, mais que l’économiste ne peut changer. (Hte D.)

  1. Nous avons déjà démontré la vanité de cette distinction entre les travailleurs. — La classe appelée par Turgot stipendiée, est productrice de richesse aussi bien que la classe des laboureurs. — N’est-il pas étrange, en effet, d’affirmer que l’homme qui donne au laboureur ses vêtements, qui façonne ses instruments, ne l’aide pas à tirer de la terre une plus grande somme de produits ?

    Nous allons plus loin, nous croyons que le domestique, que les économistes ont presque tous classé parmi les travailleurs improductifs, est à tort ainsi dénommé. — Le domestique aide le travailleur à consacrer son temps à sa besogne. Il est donc utile, et le travail qu’il accomplit est productif, car il augmente la somme des produits d’un autre travailleur. Cette classification entre les travailleurs producteurs et non producteurs est tout à fait arbitraire. La création des richesses ne