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et de peines pour être très-mal équipé à tous égards et cultiverait très-mal son terrain.

§ IV. — La nécessité des préparations amène l’échange des productions contre le travail.

Le même motif qui a établi l’échange de denrée à denrée entre les cultivateurs de terrains de diverse nature a donc dû amener aussi l’échange de la denrée contre le travail entre les cultivateurs et une autre partie de la société, qui aura préféré l’occupation de préparer et de mettre en œuvre les productions de la terre à celle de les faire naître.

Tout le monde gagnait à cet arrangement, car chacun en se livrant à un seul genre de travail y réussissait beaucoup mieux. Le laboureur tirait de son champ la plus grande quantité de productions possible, et se procurait bien plus facilement tous ses autres besoins par l’échange de son superflu qu’il ne l’eut fait par son travail ; le cordonnier, en faisant des souliers pour le laboureur, s’appropriait une partie de la récolte de celui-ci. Chaque ouvrier travaillait pour les besoins des ouvriers de tous les autres genres, qui de leur côté travaillaient tous pour lui.

§ V. — Prééminence du laboureur qui produit sur l’artisan qui prépare. Le laboureur est le premier mobile de la circulation des travaux ; c’est lui qui fait produire à la terre le salaire de tous les artisans.

Il faut cependant observer que le laboureur, fournissant à tous l’objet le plus important et le plus considérable de leur consommation (je veux dire leurs aliments, et de plus la matière de presque tous les ouvrages), a l’avantage d’une plus grande indépendance. Son travail, dans l’ordre des travaux partagés entre les différents membres de la société, conserve la même primauté, la même prééminence qu’avait, entre les différents travaux qu’il était obligé dans l’état solitaire de consacrer à ses besoins de toute espèce, le travail qui subvenait à sa nourriture. Ce n’est pas ici une primauté d’honneur ou de dignité ; elle est de nécessité physique. Le laboureur peut, absolument parlant, se passer du travail des autres ouvriers ; mais aucun ouvrier ne peut travailler si le laboureur ne le fait vivre. Dans cette circulation, qui, par l’échange des objets de besoin, rend les hommes nécessaires les uns aux autres et forme le lien de la société, c’est donc le travail du laboureur qui donne le premier mouvement. Ce que son travail fait produire à la terre au delà de