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Messieurs, il n’y a pas d’auteurs sans éditeurs, jusqu’à présent la littérature n’a pu s’en passer, et il s’en trouva un qui, je puis le dire, moi qui ai été de ses amis, s’était sacrifié à l’amour de l’art, au plaisir de publier des livres. Poulet-Malassis fut, en ces années-là, le Mécène des gens de Lettres il donna l’essor à une nouvelle génération d’écrivains, poètes, romanciers, historiens, critiques, qui risquaient fort d’attendre sans sa venue. Sa boutique du passage des Princes, en ce temps-là passage Mirès, était un salon plus qu’une librairie, où l’art dominait tout on y voyait en exergue de très remarquables portraits, peints en médaillons, des auteurs les plus renommés de la maison. Les éditions de Malassis sont très recherchées aujourd’hui peut-être les peintures qui ornaient ce petit Palais de la Librairie ont-elles été recueillies chez quelque amateur de collections. Elles marquent et datent une époque en littérature le nom de Malassis mériterait d’autant plus d’être inscrit en lettres d’or sur tout monument littéraire qui s’y rattache, qu’il se ruina et redevint homme de Lettres, comme devant. Son érudition littéraire, fortifiée, je crois, à l’École des Chartes, avait de quoi tenir : il était d’Alençon et fils d’imprimeur, ce qui constitue une double origine de Plantins français. — Ce souvenir lui était dû sur le tombeau de Baudelaire, auquel je reviens.

La première fois que je vis le poète que nous célébrons aujourd’hui, ce fut, en 1861, chez Champfleury qui l’avait retenu à diner dans son gai intérieur de la rue Germain-Pilon, tout tapissé de faïences parlantes aux doux reflets. Le poète et le romancier réaliste, collaborateurs dès leurs débuts aux petits journaux d’avant-garde, qui étaient les brûlots des Lettres, s’entendaient parfaitement ils avaient mêmes goûts, mêmes aspirations littéraires et artistiques, et soutenaient les mêmes combats, puisque Champfleury faisait aussi campagne pour Wagner, dès la première heure. Sa brochure sent encore la poudre. Il a eu raison d’écrire qu’un jeune homme à Paris peut s’assimiler en deux heures