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IANOVKA

Mon enfance n’a connu ni !a faim ni le froid. Au moment où je suis né, la famille de mes parents possédait déjà une certaine aisance. Mais c’était le bien-être rigoureux de gens qui sortent de l’indigence pour s’élever et qui n’ont pas envie de s’arrêter à mi-chemin. Tous les muscles étaient tendus, toutes les idées dirigées dans le sens du travail et de l’accumulation. Dans ce genre d’existence, la place réservée aux enfants était plus que modeste. Nous ne connaissions pas le besoin, mais nous n’avons pas connu non plus les largesses de la vie, ni ses caresses. Mon enfance n’a été pour moi ni une clairière ensoleillée comme pour l’infime minorité, ni non plus la caverne de la faim, des coups et des insultes, comme il arrive à beaucoup, à la plupart. Ce fut une enfance toute grisâtre, dans une famille petite-bourgeoise, au village, dans un coin perdu, où la nature est large, mais où les mœurs, les opinions, les intérêts sont étroits, mesquins.

L’année de ma naissance fut celle des premiers coups portés à la dynamite contre le tsarisme. Peu de temps auparavant s’était formé le parti terroriste de la Liberté du Peuple (Narodnaïa Volia) qui, le 26 août 1879, deux mois avant ma venue au monde, prononça la condamnation à mort d’Alexandre II. Une lutte terrible s’engageait qui amena, le 1" mars 1881, le meurtre d’Alexandre II, mais qui causa aussi la perte de la Narodnaïa Volia.

Un an auparavant s’était achevée la guerre russo-turque. En août 1879, Bismarck jetait les bases de l’alliance austro-allemande. Victor Hugo et Louis Blanc, en 1879, réclamaient à la Chambre des Députés l’amnistie pour les communards... Mais ni les débats parlementaires, ni les actes diplomatiques, ni même les explosions de dynamite n’avaient d’écho