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sans chagrin, — mais avec un calme et tranquille sentiment de tristesse qui sera endurable ; où votre cœur, qui n’est point brisé comme vous le dites, mais qui a été torturé, pourra recevoir d’autres images. Mais cela ne peut venir tout à coup. Il ne serait pas bien à nous de le désirer, je crois. Il faut que ceux qui ont le courage d’aimer aient le courage de souffrir.

— Oui, oui, mais si ce courage manque ? si on ne l’a pas ? Ne l’a pas qui veut.

— Le poids du premier coup étourdit le malheureux, je sais cela, monsieur Bertram. Mais cette première sensation de lourdeur, d’inertie, de mortelle tristesse passe à la longue. Pour cela, il faut travailler. Il vous faut lire, écrire, étudier. Sous ce rapport vous êtes plus heureux, vous autres, que nous. Vous avez de quoi occuper vos pensées.

— Et vous, Adela…

— Ne parlez pas de moi. Si vous êtes généreux, vous m’en parlerez pas. Croyez bien que, si j’ai paru en quelque façon faire allusion à mes propres peines, c’est parce que vous m’y avez contrainte. Le fardeau que Dieu m’a imposé, je saurai le porter. Si seulement il m’avait laissé mon pauvre père ! En disant ces mots, Adela fondit en larmes. Puisqu’elle parlait de son père il lui était permis de pleurer.

Bertram ne lui dit plus rien qui pût l’émouvoir jusqu’au moment où ils arrivèrent à la maison. Il lui tendit alors la main et lui dit : — Donnez-la-moi comme à un véritable ami, — comme à un ami aimé, je l’espère.