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peut pas aimer, que peut-elle faire de mieux que de spéculer sur sa beauté ? Mais laissons cela, je ne veux pas parler d’elle.

— J’ai eu bien tort de vous prier de venir avec moi ce matin.

— Non, Adela, vous n’avez pas eu tort ; vous avez eu bien raison, au contraire. Je n’ose pas vous demander de me donner encore la main, même en bonne amitié.

— De bonne amitié je vous la donne, dit-elle en lui tendant la main. La main était dégantée et elle était blanche et jolie, — plus jolie même que celle de Caroline.

— Je ne puis pas la prendre. Je ne veux pas vous mentir, Adela. J’ai le cœur brisé. J’ai aimé ; j’ai aimé cette femme de tout mon cœur, de toute mon âme, de toute la force de mon être, et voyez la fin ! Je sais aujourd’hui ce que veut dire un cœur brisé, je les sens là. Mais pourtant… pourtant… pourtant, Adela, je voudrais essayer une fois encore. Je ne puis rien faire pour moi seul… rien. Si le monde entier était à mes pieds et que je n’eusse qu’à me baisser pour prendre la fortune, le pouvoir, la gloire, je ne me baisserais pas pour la ramasser si je ne pouvais les partager avec un cœur aimant. Adela, il est si triste d’être seul !

— Oui, cela est triste ; mais la tristesse n’est-elle pas le partage de la plupart d’entre nous ?

— Oui, mais la nature nous dit de chercher le remède quand le remède est possible.

— Je ne sais pas ce que vous voulez que j’entende.