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qué sa lettre et divulgué les secrets de son cœur, au lieu de les tenir cachés avec autant de soin que la passion qu’elle éprouvait elle-même. Il ne pouvait pas l’aimer moins parce qu’elle s’était confiée à un autre homme, bien que pour cette raison il se crût obligé de se séparer d’elle. Il s’enferma donc dans son cabinet et écrivit pour son nouveau livre des pages moroses, pleines de misanthropie et de scepticisme ; en un mot, il fut très-malheureux.

Caroline ne supporta guère mieux le coup ; mais elle sut conserver un maintien plus digne, et mieux dominer ses sentiments. Cela devait être, car elle était femme, — et, comme femme, il lui fallait veiller à ce que le monde ne sût rien de ce qui se passait dans son cœur.

Pendant deux jours elle demeura parfaitement calme, et ne donna pas le moindre cours à son émotion. Elle prépara le thé pour le déjeuner, selon son habitude ; fit beaucoup de tapisserie, et encore plus de lecture ; lut à haute voix pour sa tante, alla faire des visites et, en un mot, remplit minutieusement ses devoirs ordinaires. Jamais sa tante ne la surprit les larmes aux yeux, jamais elle ne la trouva assise à l’écart, inoccupée, le front appuyé sur la main. En pareille occasion, elle lui aurait parlé de George ; mais, l’occasion ne se présentant pas, elle n’osa rien dire. Pendant ces deux jours, et en apparence pendant les jours suivants, Caroline se roidit dans sa douleur au point que mademoiselle Baker s’en effraya et ne se hasarda pas même à faire allusion à la possibilité d’une