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lement capable d’aimer ? Celle qui s’était ainsi reprise et ainsi donnée de nouveau, pouvait-elle savoir ce que c’est qu’aimer ?

Et pourtant, ce n’était pas encore là le plus triste. Ce qu’elle pouvait éprouver d’amour, ne l’avait-elle pas donné à ce Harcourt, même avant de s’être délivrée de lui, George ? N’avait-elle pas déjà accordé la préférence, — la froide préférence qu’elle pouvait éprouver — à cet homme, alors qu’elle combinait avec lui les meilleurs moyens de retarder son mariage avec celui qu’elle avait d’abord accepté pour époux ? L’homme du monde, l’homme prospère, bruyant, intrigant, l’avait séduite par ses succès et ses vulgaires ambitions. Elle s’était laissé prendre à l’éclat de l’or, et alors elle avait été malheureuse, elle s’était tourmentée dans ses liens, jusqu’au moment où elle était parvenue à se soustraire à la foi jurée pour se prosterner définitivement devant le veau d’or.

Ainsi la jugeait-il maintenant, ainsi parlait-il à haute voix en se promenant où nul ne pouvait le voir ni l’entendre. Et pourtant son amour pour elle était aussi profond, sa passion plus violente que jamais. Tout en la blâmant, en la méprisant du fond du cœur pour sa cupidité, il se blâmait et se méprisait encore plus lui-même de s’être laissé enlever par ce fourbe aux paroles mielleuses le seul trésor auquel il tenait. Pourquoi ne s’était-il pas fait un nom illustre ? Pourquoi n’avait-il pas su ériger un trône pour y faire asseoir celle qu’il aimait, et la montrer resplendissante aux yeux du monde ébloui ?