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gagements ; à sa rude manière, il avait été bon pour les siens : il avait aimé la droiture et le travail, et il avait haï le mensonge et la fraude ; le troupeau vulgaire, qui ne fait que consommer les biens de la terre, lui avait toujours fait horreur ; il avait prouvé, pendant l’enfance et la jeunesse de son neveu, qu’il savait être généreux ; enfin, l’amour du prochain avait trouvé place dans son cœur, car il avait aimé son neveu, et, jusqu’à un certain point, sa nièce et sa petite-fille.

Malgré, tout, il avait été mauvais. Il avait ouvert son cœur à ce qui ne devrait jamais trouver entrée dans un cœur d’homme. Le lucre avait empoisonné son âme. Il avait gagné douze millions, et ces douze millions avaient été son Dieu, — son seul Dieu, car, en vérité, les hommes n’en ont jamais qu’un. Le culte fervent qu’on rend à l’autel bien-aimé empêche tout autre culte.

Il avait érigé en divinité sa richesse. Pendant qu’elle s’accroissait, il avait passé son temps dans sa solitude de Hadley à compter ses hypothèques et ses créances, ses obligations et ses rentes, ses actions ici et ses actions là, ses milliers de francs dans tel fonds, ses millions dans tel autre. Jusqu’au bout il n’avait cessé d’acheter et de vendre, — d’acheter au plus bas, et de vendre au plus haut ; tout lui avait réussi.

Tout lui avait réussi… Voilà ce que dans la Cité de Londres on disait du vieux M. Bertram. Mais au lecteur de juger combien peu il avait réussi. Comme Faust il s’était vendu, — vendu à un Méphistophélès