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veille ; mais, en vue d’une tempête imminente, on avait dû jeter un certain nombre de Jonas par-dessus le bord, afin d’alléger le navire, et notre infortuné ami, sir Henry Harcourt, s’était trouvé parmi les sacrifiés.

Ce n’avait pas été là le plus triste de l’affaire en ce qui le touchait. Chacun sait que les gros bonnets politiques ne sont jamais destitués. Lorsqu’il devient urgent de s’en débarrasser, ils donnent leur démission. Or, il est clair qu’une démission se donne volontairement, et sir Henry Harcourt, n’ayant éprouvé aucune envie de se démettre, ne s’était pas hâté d’accomplir cet acte spontané. Les ministres qui étaient le plus de ses amis, — ceux auxquels il s’était personnellement attaché, — étaient partis, mais néanmoins il restait. Il se montrait encore prêt à soutenir le gouvernement, et comme l’attorney général était de ceux qui avaient quitté le pouvoir en secouant la poussière de leurs pieds, sir Henry s’attendait tout naturellement à remplacer ce fonctionnaire.

Mais on avait nommé au poste qu’il convoitait un autre éminent personnage, et sir Henry avait fini par comprendre qu’il fallait s’en aller. Il avait donné sa démission, mais jamais démission n’avait paru moins volontaire. Et comment aurait-il pu en être autrement ? Le succès politique était tout pour lui, et, en outre, il avait malheureusement mené sa barque de telle sorte, qu’il lui était devenu indispensable que ce succès fût prompt. Il n’était pas de ceux qui, en perdant le pouvoir, perdent un jouet coûteux, auquel ils attachent