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qui, possédant déjà le talent, la renommée et une grande position, venait d’ajouter à tous ces trésors une femme belle, riche et élégante. Plus George Bertram lisait et entendait ces choses, plus il se tenait à l’écart, et plus il évitait avec soin les lieux qu’il supposait devoir être fréquentés par ces favoris de la fortune.

Dans le courant de ces deux mois, sir Henry était venu deux fois chez Bertram ; mais Bertram n’était chez lui pour personne. Il habitait un grand désert où il n’y avait d’être vivant que lui — un désert immense et aride, sans eau, et où rien ne verdissait. Il était seul. Il n’avait confié sa douleur qu’à une seule personne ; il n’avait cherché à y échapper qu’une seule fois. Mais l’effort n’avait rien produit ; le cœur ami était bien loin ; et depuis lors il avait vécu solitaire, enfermé dans son petit logement de Londres.

La rencontre eut lieu, enfin. Sir Henry ne voulait pas renoncer à ses projets de réconciliation, et il écrivit à Bertram pour lui annoncer sa visite et pour en fixer l’heure. « Caroline et vous, vous êtes cousins ; écrivit-il, et il n’y a pas de raison pour que vous soyez ennemis. Faites ce que je vous demande, si ce n’est pour moi, du moins pour elle. »

Bertram passa des heures entières les yeux fixés sur ce billet avant de pouvoir se décider à y répondre. Était-il possible qu’elle désirât le revoir ? Était il possible que dans le premier éclat de sa splendeur et de son heureuse prospérité elle voulût se retrouver en face de lui, si triste, si misérable, si abandonné ? Pourquoi le désirait-elle ? Comment pouvait-elle le désirer ?