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saient aucun plaisir. Elle s’y prêtait, parce que son futur mari le voulait, et parce qu’elle entendait qu’il fût compté parmi les riches de ce monde. Mais elle n’éprouva pas, pendant un seul instant, même cette joie vulgaire qui vient de la satisfaction du désir de briller.

Son mari ! son seigneur ! c’était là la grande misère, l’écueil contre lequel il lui semblait parfois que sa barque devait se briser et périr. Si seulement elle avait pu franchir d’un seul bond les trois premières années ! S’il lui eût été possible d’arriver tout d’un coup à ce temps où l’habitude rendrait son sort supportable ! Son seigneur et maître ! Qui donc était son véritable maître ? N’avait-elle pas là, au fond du cœur, un autre maître, auquel son âme rendait hommage, malgré les efforts de sa volonté ?

Puis, elle commença à craindre pour sa beauté. Ce n’était pas pour elle-même, et elle n’éprouvait pas cette sorte de chagrin qui accompagne fatalement le déclin de celles qui se sont trop confiées en la puissance de leurs charmes. Elle s’inquiétait pour le compte de celui auquel elle avait vendu sa beauté. Elle voulait remplir sa part du marché. Elle voulait lui apporter au jour du mariage tout ce qui avait été compris au contrat.

Ni sir Henry, ni M. Bertram, ni aucun de ceux qui l’entouraient, ne s’aperçurent du moindre changement. La beauté de Caroline n’était pas de celles qui se fanent ainsi. Quand elle voyait ses yeux rougis et gonflés par des pleurs refoulés, elle avait peur ; mais son empire