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coupent sur l’horizon comme cela se voit dans les vieilles gravures sur bois qui représentent des cités fortifiées.

Mais c’est là précisément l’aspect de Jérusalem. Jusqu’au moment où le voyageur touche aux murs de la ville, il se sent en plein désert, et pourtant il suffira d’un instant et de la permission de ces soldats turcs si sales, pour qu’il se trouve dans la ville. On arrive aux portes, et comme il n’est personne aujourd’hui qui ne se croie autorisé à avoir une opinion sur les difficultés que peut offrir la prise d’une batterie casematée, ou sur l’insuffisance des bastions de granit, chacun se dit tout d’abord combien ce serait chose commode et charmante que de prendre Jérusalem. En tout cas, il n’est point difficile d’y entrer ; les sales soldats ne se donnent pas la peine de tourner la tête pour regarder le voyageur qui ne tarde pas à acquérir la douce certitude qu’il a dépassé la zone des passe-ports.

George Bertram s’était bien promis que l’instant où il apercevrait Jérusalem serait pour lui un instant d’émotion morale des plus intenses. Quand, en quittant les orangers de Jaffa, il avait cherché à faire prendre à son cheval arabe le galop continu qui devait le mener jusqu’à la ville du Sépulcre, son âme était toute disposée à se laisser aller aux extases du sentiment aussitôt que sa course rapide aurait été achevée. Mais le temps de l’extase sentimentale était passé depuis longtemps quand il se trouva à la porte de Jérusalem. Il en était à jurer comme un païen contre son infernale rosse et la maudite selle turque qui lui semblait avoir