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gent alors que son père vivait encore et qu’il n’était pas question de cette cure ? Mais elle aurait attendu pendant des années s’il l’eût fallu, quand bien même ces années se seraient comptées par dizaines ; elle se serait résignée à attendre, quand même cette attente n’eût jamais dû être récompensée ; elle ne lui demandait que le privilège de se considérer comme lui appartenant. L’argent ! mais, s’il eût consenti à vivre de pommes de terre auprès d’elle, elle se fût estimée heureuse d’en manger la pelure !

Elle s’était souvent interrogée au sujet de son amour pour Arthur, et elle s’était même avoué que jusqu’à présent il n’avait rien dit qui l’autorisât à aimer ainsi, mais toujours son cœur lui avait répondu qu’il ne fallait pas douter. Il était impossible qu’il lui parlât, qu’il la regardât ainsi et qu’il ne l’aimât pas. Alors elle s’était résolue à risquer tout son bonheur sur la confiance qu’elle avait en la fidélité et la loyauté de celui qu’elle aimait. Elle l’avait risqué tout entier, et maintenant Arthur lui disait froidement que sa position lui défendait de se marier.

Que venait-il lui parler de doux rêves et de triste réalité, lui qui n’avait pas le courage de réaliser le bonheur de ses rêves quand ce bonheur se trouvait à sa portée ! Que lui disait-il de la sympathie et de l’amour d’une femme qui partagerait tous ses sentiments, lorsqu’il était si timide en présence des hasards de la vie, qu’il craignait d’aimer de peur qu’un jour le pain et la viande ne vinssent à manquer ! Qu’étaient pour lui les plaies du cœur ou les sentiments blessés ? N’a-