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délicat de me parler ainsi quand elle devait savoir tout ce que je souffrais en renonçant à elle. Et, tout en cheminant, il se redisait ses propres griefs, comprenant à merveille les besoins de son cœur à lui, mais ignorant complètement les besoins et les peines de cet autre cœur qui l’aimait.

Mais ses chagrins et ses regrets étaient calmes en comparaison de ceux d’Adela. Elle lui avait donné la main en partant et elle avait tâché de lui dire adieu de son ton habituel ; même après son départ, elle était restée quelques instants assise et immobile, dans la crainte qu’il ne revînt sur ses pas ; mais quand elle eut entendu la porte se refermer sur lui, quand, de sa fenêtre, elle l’eut vu traverser la pelouse, alors son courage l’abandonna et elle laissa déborder sa douleur.

Qu’était-il venu lui dire ? Qu’il ne se marierait pas, parce qu’il avait sa mère et ses sœurs à sa charge. N’aurait-elle pas aidé à les faire vivre ? N’était-elle pas prête à unir son sort au sien dans le malheur comme dans la prospérité, dans la pauvreté même ? Était-il possible qu’il ne le sût pas, qu’il n’eût pas lu dans son cœur ? Avait-il pu venir tous les jours, réclamant d’elle tendresse, sympathie et bonté, — cette sorte de bonté qu’un homme ne demande qu’à la femme qu’il aime et qu’aucune femme ne peut témoigner si elle n’aime à son tour ; — avait-il pu faire cela et se figurer que cela ne signifiait rien ? Cet échange de leurs sentiments, de leurs pensées, ne voulait donc rien dire ?

L’argent ! lui avait-elle demandé s’il avait de l’ar-