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femme et de ses enfants. Mais il ne croyait à la justice et à l’honnêteté d’aucun autre homme, et croyait voir partout des ennemis, surtout dans sa famille. Depuis dix ans, il restait renfermé chez lui, apparaissant seulement de temps à autre à la Chambre des pairs pour exposer quelque fait tout personnel ou pour formuler d’une voix pleurnicheuse quelque grief contre les magistrats du comté, — plaintes que personne n’écoutait plus depuis longtemps, et que les journaux avaient cessé même de reproduire.

Arthur, qui avait toujours entendu parler du marquis comme de l’élève de son père, fut étonné de se trouver en présence d’un vieillard. Son père était mort à cinquante-cinq ans avec toutes les apparences de la force ; le marquis semblait usé par l’âge et les soucis, et l’on aurait pu croire sa mort prochaine. Mais l’homme fort n’était plus, tandis que lord Stapledean était destiné à traîner pendant de longues années de chagrin.

— J’ai été bien fâché d’apprendre la mort subite de votre père, dit lord Stapledean de sa petite voix froide et fluette.

— Elle a été bien soudaine, mylord dit Arthur en frissonnant.

— Ah ! — oui ; il était imprudent ; il aimait trop les liqueurs fortes.

— Il a toujours été très-sobre, dit le fils avec dégoût.

— C’est-à-dire qu’il ne s’enivrait pas. Je le pense bien. Comme curé de campagne, ce n’était guère pos-