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Mademoiselle Waddington était trop orgueilleuse, trop pénétrée de la nécessité de conserver sa dignité dans cette conjoncture, pour contredire Bertram. Pourtant, elle sentait au fond du cœur qu’elle l’aimait, et que, malgré toute sa colère et tous ses sarcasmes, elle aurait bien voulu ne pas renoncer à lui. Mais comment aurait-elle pu, elle qui n’avait jamais trahi la moindre passion jusque-là, se mettre tout à coup à protester de son amour au moment même où on lui disait qu’on renonçait à elle ?

— Je m’y suis laissé aller de jour en jour, et je me suis cramponné à l’espérance comme un enfant, quand il n’y avait plus d’espérance. J’aurais dû le comprendre quand vous avez remis notre mariage à trois ans.

— À deux ans, George.

— Si ce n’eût été que deux ans, nous serions mariés aujourd’hui. J’aurais dû le comprendre quand j’ai appris votre intimité avec lui à Londres. Mais maintenant — je le comprends, je le sais. Maintenant c’est tout fini.

— Je regrette que vous ayez eu tant d’ennuis…

— Ennuis… ennuis !… Enfin ! je ne veux pas me rendre ridicule. Je crois en tout cas que nous nous comprenons.

— Oh ! parfaitement.

Ce n’était pas vrai ; elle ne le comprenait pas. Il avait cherché à lui faire comprendre qu’en renonçant à elle, il ne croyait sacrifier que lui-même ; qu’il ne la quittait que parce qu’il était convaincu qu’elle ne l’aimait pas ; qu’il la quittait à cause de cela seulement,