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Et puis, Caroline était la petite-fille et peut-être l’héritière d’un des hommes les plus riches de Londres. Cette considération avait son poids. La jeune personne aurait au moins 150,000 fr. — peut-être 1,500,000 fr. — peut-être trois fois 1,500,000 fr. Harcourt aurait probablement trouvé inopportun de se laisser aller à un amour que la fortune n’aurait pas autorisé. Il était homme du monde avant tout, et ne prétendait pas être autre chose. Il aurait cru se rendre ridicule s’il se fût marié seulement par amour. C’était avec une réelle satisfaction qu’il se disait que la fortune de mademoiselle Waddington lui permettait de se livrer à son amour pour elle. Donc, il se laissa aller à l’aimer.

Il avait espéré pendant un certain temps que quelque circonstance imprévue viendrait rompre cette union mal assortie, et qu’alors il prendrait la place qu’il convoitait sans avoir eu à se mêler de l’affaire. Mais le temps pressait. Il fallait agir, ou bien ces deux pauvres jeunes gens allaient s’épouser et se rendre malheureux pour le reste de leurs jours. La charité elle-même lui commandait de s’interposer. Il s’interposa donc, et non sans habileté, comme nous l’avons vu plus haut.

Voilà notre plaidoyer pour M. Harcourt terminé. Triste défense ! dira le lecteur en se détournant avec dégoût de ce personnage. Triste défense, en effet. Mais si, tous tant que nous sommes, on nous retournait à l’envers, et que l’on mît nos pensées à nu, ainsi que cela se pratique à l’égard des personnages de roman, plus d’un d’entre nous aurait peut-être de la peine à se faire acquitter.