Page:Trollope - Les Bertram, volume 1.djvu/353

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais il y avait au monde un homme qui l’aimait, qui avait senti qu’il pourrait l’aimer, dès l’instant où il l’avait vue, quoiqu’elle fût la fiancée de son ami ! Il n’avait point cherché à lui plaire, car il était manifeste alors qu’elle en aimait un autre, et qu’elle était aimée. Mais, puisque les choses avaient changé, y avait-il quelque bonne raison qui dût empêcher cet homme de la rechercher pour lui ? M. Harcourt ne le pensait pas.

Ajoutons que cet homme, que la nature n’avait pas fait vaniteux, qui n’était pas disposé à se figurer qu’il tournait la tête aux jeunes beautés, qui n’avait pas passé sa vie à recueillir des sourires de femme, s’imaginait avoir quelque raison de supposer qu’il ne déplaisait point à mademoiselle Waddington. Il se rappelait son regard lorsqu’ils avaient lu ensemble le passage de la lettre de Bertram, où celui-ci déclarait qu’il ne saurait jamais s’astreindre aux petits devoirs d’un amoureux. Harcourt avait été plein d’égards pour Caroline, et il lui avait prouvé qu’à ses yeux de semblables devoirs n’auraient point semblé pénibles. Il l’avait traitée avec douceur, et elle en avait paru touchée.

« Celle-là n’est point une véritable femme, qui, étant douce, n’est pas rendue plus douce encore par la douleur, » a dit le poëte.

Caroline avait été douce, à ce qu’il avait semblé à Harcourt, et Dieu sait si elle avait été malheureuse !

Ainsi naquirent des espérances qui n’auraient jamais dû exister ; ainsi se formèrent des projets qui, s’ils n’étaient pas complètement noirs, étaient, comme nous l’avons dit, d’un brun passablement foncé.