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Le sujet de conversation que sir Lionel semblait préférer à tout autre était la destination éventuelle de la fortune de son frère. Il s’aperçut bientôt que George avait sur cette matière des idées beaucoup trop romanesques, qu’il était ridiculement indifférent à ses propres intérêts, et que si l’on ne parvenait pas à lui faire mieux comprendre ses droits et mieux apprécier sa position comme unique neveu d’un homme très-riche, il pourrait bien arriver que cette magnifique fortune lui glissât entre les doigts. Préoccupé de cette crainte, sir Lionel tâcha de retenir auprès de lui son fils, afin de lui inculquer, si faire se pouvait, quelques utiles principes de sagesse mondaine.

Il comprit bien qu’il serait inutile de catéchiser George sur le meilleur moyen de flatter son oncle ; une telle prétention l’aurait infailliblement éloigné et révolté ; mais il se dit qu’il y avait quelque chose à faire en employant sans se lasser, mais avec beaucoup d’habilité et de finesse, un badinage railleur et à demi méprisant. Petit à petit, il crut s’apercevoir que George l’écoutait avec plus de complaisance, qu’il apprenait à convoiter, enfin qu’il saurait un jour apprécier à leur véritable valeur ces richesses immenses. Fortifié par cette pensée, sir Lionel persévéra avec courage jusqu’au bout.

— Dis bien des choses aimables pour moi à mon frère, dit le colonel à son fils la veille du jour où ils devaient se séparer.

— L’oncle George ne se soucie guère d’entendre des choses aimables, répliqua le fils en riant.