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s’il n’était pas dirigé vers le bien, il pourrait bien se porter de lui-même vers le mal. Il était impossible qu’elle devînt un simple meuble domestique, en s’adaptant à tel usage qu’en voudrait faire un tyran marital. En de bonnes mains, elle devait être une femme heureuse et aimante, mais il était tout aussi possible qu’elle fût destinée à n’être ni heureuse, ni aimante.

Comme la plupart des jeunes filles, elle pensait souvent à ce que l’amour lui réservait dans l’avenir, — elle pensait beaucoup à aimer, bien qu’elle n’eût point aimé encore. Nous avons dit qu’elle avait un esprit viril, mais il ne faudrait pas en conclure que ses espérances et ses aspirations ne fussent pas toutes féminines. Son cœur et ses sentiments étaient bien ceux d’une jeune fille, — du moins, au moment dont il s’agit ; mais son caractère et sa volonté étaient mâles par leur fermeté.

Pour une si jeune personne, elle avait de grands et périlleux défauts : grands, car ils étaient de nature à nuire à son bonheur, et périlleux en ce qu’ils devaient naturellement croître avec l’âge. Ses défauts n’étaient pas ceux de la jeunesse. Loyale elle-même, elle soupçonnait volontiers les autres ; bien que fort digne de confiance, elle était méfiante : or, qui peut rester digne de confiance quand il se méfie toujours ? Comment se confier à celui qui ne se confie jamais à son tour ? De plus, elle était impérieuse quand l’occasion venait tenter son orgueil. Avec sa tante, qu’elle aimait, elle ne l’était jamais. Elle se contentait de la persuader par de doux regards et une voix caressante ; mais