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par la salle à manger. Quand ils arrivèrent à la bibliothèque, qui était à la suite, le cousin Henry prit son chapeau et descendit au jardin. Il allait et venait sur l’allée sablée, voulant s’imposer à lui-même de ne pas s’approcher de la fenêtre, mais il n’y réussissait pas. Il ne pouvait se tenir dans un endroit d’où il lui eût été impossible de voir ce qui se passait dans la pièce. Il craignait, et cette crainte le faisait trembler, que l’on ne mît la main sur le fatal volume. Et pourtant il se répétait et s’affirmait à lui-même qu’il désirait qu’on le trouvât. N’était-ce pas ce qui pouvait lui arriver de plus heureux ? Puisqu’il n’avait pas l’énergie de se résoudre à le détruire, sans aucun doute, tôt ou tard, il serait trouvé.

On tirait tous les livres des rayons, évidemment pour regarder dans l’espace vide laissé par derrière. À travers la fenêtre, il pouvait voir tous les mouvements. Par hasard, la partie de la bibliothèque qui contenait le fatal rayon — celui sur lequel était le volume — fut la dernière que l’on visita. On n’examinait pas les livres un à un ; mais ce volume, si épais qu’il attirait les yeux, s’ouvrirait certainement de lui-même. Il l’avait si souvent ouvert que les deux parties s’écarteraient seules. Eh bien ! Il pouvait s’ouvrir ! Personne ne dirait alors qu’il eût connaissance de ce qu’il contenait. Il savait pourtant qu’il serait incapable de parler, qu’il balbutierait, et qu’il démontrerait sa culpabilité par son silence et sa consternation.

On tirait les livres trois par trois, et on les replaçait. On était arrivé au rayon. Pourquoi ne pouvait-il s’éloigner de la fenêtre, près de laquelle il était comme fixé ? Il n’avait rien fait, rien, rien et pourtant il était là tout tremblant, immobile, le visage baigné de sueur, impuissant à détourner un instant les yeux de ce qui se faisait dans la chambre. Enfin