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questions de M. Apjohn, il n’avait plus parlé à personne, mais s’était assis, éclairé par une bougie, près de laquelle il était accoudé. Le sommelier était venu deux fois lui demander s’il n’avait besoin de rien, et insinuer qu’il ferait mieux de se mettre au lit. Mais l’héritier, — s’il était héritier, — n’avait vu dans cet acte du sommelier qu’une indiscrétion, et avait répondu qu’on pouvait bien le laisser seul. On l’avait laissé seul, et il restait là, assis.

Son esprit était alors soumis à une cruelle torture. Il pouvait prendre, à son choix, l’un des deux partis ; il s’agissait de se décider. « L’honnêteté est la meilleure politique ! l’honnêteté est la meilleure politique ! » Il se répéta cent fois à lui-même cette parole bien connue, sans remuer les lèvres, sans articuler un son. Il était là, assis, essayant de fixer sa pensée. Il était là, assis, ne cessant de trembler, dans son horrible agonie, tandis que les heures succédaient aux heures. Tantôt il était décidé à agir selon la maxime, de la vérité de laquelle il cherchait à se convaincre, que l’honnêteté est la meilleure politique ; tantôt il se rasseyait, irrésolu comme avant, se déclarant à lui-même que l’honnêteté ne l’obligeait pas à accomplir l’acte qui venait d’être l’objet de ses méditations. « Qu’ils le trouvent, disait-il enfin à haute voix, qu’ils le trouvent. C’est leur affaire, non la mienne. » Et il restait toujours assis, les yeux fixés sur la rangée de livres qui était devant lui.

Minuit était passé depuis longtemps déjà. Il se leva et marcha de long en large dans la chambre, tout en essuyant son front, comme s’il était échauffé par le mouvement, mais ne quittant pas les livres de l’œil. Il se pressait lui-même d’agir, il se faisait un devoir de mettre en pratique cette honnêteté. Enfin, il s’élança vers l’un des rayons, et, tirant un volume des œuvres de Jérémie Taylor, il le jeta sur la table. C’é-