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taine mesure. Elle se croyait une volonté forte et une âme capable de souffrir. Mais, sous d’autres rapports, elle se jugeait avec plus d’humilité : elle ne reconnaissait en elle rien de ce charme féminin qui séduit les hommes. Sa personne physique pouvait attirer l’attention : elle était assez grande, forte, active et d’une agréable physionomie. Son front était large et beau ; ses yeux gris étaient brillants et intelligents ; son nez et sa bouche étaient bien faits ; pas un trait de son visage n’était commun. Mais il y avait chez elle quelque chose de rude ; son teint avait peut-être trop d’éclat ; ses yeux, plus sévères pour elle-même que ceux des autres personnes, voyaient là un défaut. Les fermiers des environs et leurs femmes déclaraient que miss Isabel était la plus belle femme de la Galles du Sud. Avec les fermiers et leurs femmes elle était en excellents termes : elle connaissait tous leurs usages, et s’intéressait à tous leurs besoins. Elle ne se souciait que peu de la noblesse des environs. Son oncle n’aimait pas à réunir nombreuse compagnie, et elle s’était entièrement conformée aux goûts de son oncle. Aussi ne connaissait-elle pas plus les jeunes gens du pays qu’elle n’était connue d’eux ; et, comme elle n’avait pas d’amitiés, elle se disait qu’elle n’était pas comme les autres jeunes filles, qu’elle était rude, sans charme, impopulaire.

Bientôt arriva l’époque de la venue de Henry Jones. À mesure qu’elle approchait, l’oncle Indefer était de jour en jour de moins en moins à son aise. Isabel n’avait plus dit un mot contre son cousin. Quand il lui avait été proposé comme futur époux, elle avait déclaré son aversion pour lui. À ce moment, le vieillard avait abandonné son projet, ou tout au moins n’en parlait plus. Aussi Isabel nommait Henry et faisait allusion à son arrivée, comme s’il se fût agi du premier hôte venu. Elle veillait à ce que sa chambre