Page:Trollope - Le Cousin Henry.djvu/223

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’en charge. Mon plaisir, si plaisir il y a, ne viendra qu’après. Je voudrais qu’il sût tout, avant que je le voie moi-même.

— Il aura certainement quelque idée insensée, dit le père en souriant.

— Je veux qu’il ait son idée, insensée ou non, avant de le voir. Si vous pouvez aller le trouver le plus tôt possible, je vous en serai obligée. »

Isabel, quand elle se trouva seule, eut aussi son triomphe. Elle était loin d’être insensible au plaisir de devenir héritière. Pendant une période de sa vie, elle s’était regardée comme le possesseur assuré de Llanfeare, et elle avait été fière de cette haute position. Les fermiers l’avaient connue comme la future propriétaire des terres qu’ils cultivaient ; ils avaient conçu pour une elle sincère affection et la lui avaient témoignée. Elle connaissait toutes les dépendances de la propriété, toutes les bornes, tous les champs. Elle savait quels étaient les pauvres à secourir, quels étaient les besoins de la petite école. Tout, à Llanfeare, avait un intérêt pour elle. Ensuite était survenu ce changement soudain dans les dispositions de son oncle — cette idée nouvelle de devoir — et elle avait héroïquement supporté la ruine de ses espérances. Non seulement elle ne lui avait jamais dit un mot de reproche, mais elle s’était juré à elle-même que, dans le secret même de son cœur, elle ne le blâmerait jamais. Un grand coup l’avait frappée, mais elle l’avait accepté de la main du Tout-Puissant — comme un mal physique, la cécité ou la paralysie. Elle se promit de tenir cette conduite, et elle eut l’énergie d’être fidèle à la parole qu’elle s’était donnée. Un moment abattue par le coup, elle s’était relevée aussitôt, et, après un jour de méditation, elle avait repris sa tâche avec courage. Puis étaient venues la dernière maladie de son oncle, ces paroles à peine articulées,