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encore ! Dieu savait qu’il ne voulait qu’une chose : échapper aux persécutions de ses ennemis Dieu savait avec quelle injustice le vieillard l’avait traité Par moments, il se persuadait à lui-même que la destruction du testament ne serait qu’un acte de justice, pour lequel Dieu ne condamnerait certainement pas un homme au châtiment éternel. Et pourtant, quand il se tournait du côté de la lumière, sa main refusait d’élever le papier jusqu’à la flamme. Qu’il dût être livré ou non au feu éternel, il aurait toujours l’enfer devant les yeux et vivrait torturé par la crainte. Qu’est-ce que M. Cheekey pouvait lui faire de pire ?

Il ferait aussi bien d’attendre jusqu’au mercredi. Pourquoi se ravir à lui-même un jour d’innocence ? Il allait pouvoir dormir cette huit encore. Pourrait-il dormir, le crime une fois commis ? Pécher comme tant d’autres, ce n’était rien pour lui ; il ne comptait pas comme fautes la violation des règles ordinaires de conduite que les parents enseignent à leurs enfants et les pasteurs à leur troupeau ; le monde s’en soucie bien ! Convoiter la fortune d’autrui, médire de son prochain, courir après la femme de son voisin, si on la trouve sur sa route, faire de menus vols, vendre, par exemple, un cheval boiteux, ou regarder dans le jeu de son adversaire, affirmer un mensonge par serment, ridiculiser là mémoire de ses parents, c’étaient peccadilles qui n’avaient jamais pesé sur sa conscience. En ne révélant pas l’existence du testament, il n’avait pas éprouvé de remords ; il avait seulement craint d’être découvert. Mais le brûler et voler quinze cents livres par an à sa cousine ! Commettre un acte criminel, pour lequel il pourrait être enfermé à Dartmoor toute sa vie, les cheveux coupés, vêtu des habits malpropres des prisonniers, mal nourri, condamne à un travail forcé ! Il valait mieux,