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fermier Griffith, des deux Cantor, de M. Apjohn, de ce tyran de Cheekey, de son ombre même. Mais tout cela était fini ; il tenait enfin son moyen de salut, et rien ne l’y ferait renoncer.

Il pensa ensuite à l’avenir prospère qui s’ouvrait devant lui. Il n’avait pas joui jusqu’alors de sa richesse, et, toujours en proie à de noires pensées, il ne s’était pas demandé quelle fortune lui apportait Llanfeare. Naturellement, il n’y vivrait pas ; il n’y avait pas de loi qui le contraignît à y habiter. Il calcula qu’il pourrait tirer quinze cents livres par an de la propriété ; quinze cents livres par an ! Tout cet argent serait bien à lui ; personne ne pourrait y toucher ; quelle vie de plaisir il mènerait avec quinze cents livres par an !

Il alla donc se coucher, bien résolu à détruire le testament et à dormir le mieux possible. Quand il eut éteint sa bougie, avant de se mettre au lit, et que la chambre fut dans l’obscurité, il sentit naître le remords. Mais, comme il n’avait pas encore accompli l’acte, il n’avait pas à écouter la voix de sa conscience. Il se coucha ; il fit même sa prière, mais il s’efforça de ne pas dire les paroles : Ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mal.

Il passa de la même façon les journées du vendredi et du samedi. Sa résolution était donc toujours la même, mais toutes les nuits il éprouvait des remords dont il ne se délivrait qu’en se disant que le testament était encore là. Il faisait toujours sa prière matin et soir, en s’appliquant à ne pas prononcer les paroles qui étaient sa condamnation ; mais il ne pouvait s’empêcher de les dire comme dans un murmure. Il persistait dans sa détermination : comment sortir autrement de la position où il était ? Le cerf aux abois piétine sur les chiens : il piétinerait sur ses adversaires. Llanfeare serait à lui. Il ne retournerait