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suite ; peut-être avait-il parlé dans un rêve. Dans de semblables conditions, quelques mots ne constituaient pas une preuve suffisante pour que l’on crût un homme coupable d’un si grand crime. Mais elle, elle savait bien — elle se le disait du moins — que les paroles de son oncle n’avaient pas été vagues. Quant à la figure malheureuse de son cousin, M. Owen lui avait dit qu’elle n’avait pas le droit de faire une preuve d’un témoignage de si peu de valeur ; que ce serait vouloir s’attribuer un coup d’œil infaillible. Elle ne voulait pas contredire un avis si sage, mais elle était certaine de ne s’être pas trompée ; elle ne doutait pas que cet air malheureux ne fût l’indice de la culpabilité.

Elle s’était juré mille fois à elle-même qu’elle ne convoiterait pas la maison et la propriété. Quand son oncle lui avait annoncé la première fois sa détermination de la déshériter, elle s’était sentie assez sûre de son affection pour lui pour ne pas craindre qu’elle fût diminuée par ce changement d’intentions. Elle était fière de penser qu’elle était capable de s’élever au-dessus de mesquines considérations d’argent, de conserver la noblesse de ses sentiments dans la pauvreté absolue à laquelle elle pouvait être réduite. Mais maintenant elle était tentée de désirer que le rédacteur eût raison. Y avait-il un homme qui méritât autant que M. Owen de grandir dans le monde et qui pût occuper aussi honorablement une haute position ? Si elle ne désirait pas Llanfeare pour elle-même, ne devait-elle pas le désirer pour lui ? Il lui avait dit combien il était assuré de son amour, que tôt ou tard il obtiendrait sa main. Elle commençait presque à penser qu’elle devrait céder en effet, et que sa volonté plierait fatalement devant celle de l’homme qu’elle aimait. Mais combien son triomphe serait doux si elle pouvait