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Il prit le livre ; le papier y était. Il déplia l’acte et le lut avec attention dans les moindres détails. L’acte avait été composé et rédigé dans l’étude d’un avoué, avec le défaut de ponctuation et l’inintelligible phraséologie qu’on trouve habituellement dans les actes légaux. Il avait été copié à la lettre par le vieillard ; c’était bien là un testament valable, qui ne pouvait manquer d’être considéré comme tel. Jamais il ne l’avait si longuement examiné. Il aurait craint qu’une marque laissée par son doigt, une tache, une brûlure faite par une étincelle ne révélât qu’il l’avait déjà lu. Mais maintenant il était décidé à bannir toute crainte et à faire connaître à tous que le testament avait été entre ses mains. Aussi se croyait-il autorisé à le relire, sans redouter d’être trahi par ces petits accidents. Que les femmes de la maison le vissent occupé à cette lecture, qu’est-ce que cela pouvait faire désormais ?

Il le lut trois fois, pendant que les heures de la nuit s’écoulaient ; trois fois il lut cet acte, rédigé avec une habileté diabolique en vue de le dépouiller d’un bien qui lui avait été promis. S’il avait commis une faute en le cachant, en dissimulant son existence, quelle faute plus grande avait commise ce vieillard qui, à son lit de mort, avait employé ses dernières forces à le dépouiller ! Maintenant que le jour, presque le moment, était venu de remettre en d’autres mains la propriété qu’il avait si sincèrement maudite quelques heures auparavant, il sentit renaître en lui l’amour de l’argent et le sentiment de la dignité que lui donnait la possession d’un domaine étendu. Il pensa tout à coup qu’avec un peu de courage, de persévérance, de patience, il verrait un jour la fin de tous ses maux. En se représentant ce qu’il serait dans cinq ans peut-être, propriétaire de Llanfeare, pourvu de bonnes rentes, il eut honte de sa faiblesse.