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en l’amenant à penser qu’il était justifié par sa manière d’être envers lui.

C’était en effet tout un changement qui s’était fait dans les idées du vieillard, et même dans ses intentions déclarées. Llanfeare appartenait aux Indefer Jones depuis plusieurs générations. Quand le dernier propriétaire était mort, vingt ans auparavant, un seul de ses dix enfants survivait, l’aîné, à qui la propriété appartenait en ce moment. Quatre ou cinq autres, nés successivement après lui, étaient morts sans enfants. Puis était venu un Henry Jones, qui avait quitté le pays, s’était marié, était devenu le père de cet Henry Jones dont il a déjà été question, et était mort lui aussi. Le plus jeune, une fille, avait épousé un avoué nommé Brodrick, et était mort, ne laissant pas d’autre enfant qu’Isabel. M. Brodrick s’était remarié et était alors le père d’une nombreuse famille à Hereford. Il n’était pas dans une très bonne situation de fortune. La seconde madame Brodrick avait trop montré sa préférence pour ses propres enfants, et Isabel, à l’âge de quinze ans, était allée habiter avec son oncle, célibataire. C’était à Llanfeare qu’elle avait vécu pendant les dix dernières années, faisant de temps en temps une visite à son père, à Hereford.

M. Indefer Jones, qui avait en ce moment entre soixante-dix et quatre-vingts ans, avait été toute sa vie tourmenté par des réflexions, des craintes, des espérances relativement à la propriété de famille sur laquelle il était né, dans laquelle il avait toujours vécu, en possession de laquelle il devait certainement mourir, et dont il devait disposer à son gré pour l’avenir. La propriété lui avait été substituée[1] avant sa naissance, du vivant de son grand-père,

  1. La substitution était une ancienne disposition du droit féodal, que notre code civil a abolie. Elle subsiste en Angle-