Page:Trollope - Le Cousin Henry.djvu/12

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Et qu’est-ce qui me donnerait de lui une assez bonne opinion pour que je consentisse à devenir sa femme ? Je ne le sais vraiment pas. En épousant un homme, une femme doit l’aimer en tout ; satisfaire ses moindres désirs doit être son souci ; lui rendre jusqu’aux plus vulgaires services doit être son plaisir. Croyez-vous que j’éprouve un tel sentiment à l’égard de Henry Jones ?

— Tout cela, c’est de la poésie, et vous parlez trop comme vos livres.

— Je me ferais honte à moi-même si j’allais à l’autel avec lui. Renoncez à cette idée, oncle Indefer, enlevez-la de votre esprit comme une chimère qu’elle est. C’est la seule chose que je ne puisse ni ne veuille faire, même pour vous. C’est la seule chose que vous ne devriez pas me demander. Disposez de la propriété comme il vous plaît, — comme vous le croyez bon.

— Mais cela ne me plaît pas, de faire ce que vous dites.

— Comme votre conscience vous l’ordonne, alors. Quant à ma personne, la seule petite chose que je possède au monde, j’en disposerai selon mon goût et selon ma conscience. »

Elle prononça ces derniers mots avec une certaine brusquerie, et quitta la chambre avec un air d’orgueil blessé. C’était une petite comédie, qu’elle jouait à dessein. Si elle affectait une certaine dureté à l’égard de son oncle, si elle s’obstinait à ne rien lui céder, il s’obstinerait, lui aussi, à exécuter son projet, et en souffrirait moins. C’était pour elle un devoir de lui faire comprendre qu’il avait le droit de disposer à son gré de la propriété, puisqu’elle-même prétendait disposer également de sa personne. Non seulement elle ne dirait pas un mot pour le dissuader de modifier ses intentions précédentes, mais encore elle lui rendrait ce changement récent moins pénible,