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ne fallait pas songer à un mariage. Avec lui au moins elle pouvait discuter. Il n’avait pas autorité sur elle, et elle se connaissait assez pour avoir toute confiance dans sa force de caractère. Son père avait un certain droit à vouloir diriger sa conduite. Sa belle-mère avait aussi ce droit, par délégation en quelque sorte. M. Owen n’en avait aucun. Elle lui ferait comprendre pourquoi elle ne voulait pas l’épouser, et alors il pourrait servir, par d’utiles avis, son projet d’être gouvernante, femme de chambre, maîtresse d’école, n’importe quoi enfin.

Le lendemain matin, il vint et fut bientôt enfermé avec elle. Au moment où il arriva, Isabel était assise avec Mrs. Brodrick et ses sœurs, mais elles eurent bientôt fait de plier leur ouvrage et de sortir, montrant ainsi que c’était chose convenue qu’Isabel et M. Owen fussent laissés ensemble. La porte ne fut pas plus tôt fermée, qu’il vint à elle, comme pour la prendre dans ses bras, et l’empêcher ainsi de se dérober, en se retirant, au baiser qu’il voulait lui donner comme à sa future femme. Elle comprit tout sur-le-champ. Il semblait que, depuis la dernière entrevue dont elle eût gardé le souvenir, il y en avait eu une autre, oubliée par elle, dans laquelle elle avait consenti à être sa femme. Elle ne pouvait s’irriter contre lui. Comment une jeune fille s’irriterait-elle contre un homme dont l’amour est si tendre, si constant ? Il n’aurait pas songé à lui donner un baiser, s’il avait eu devant lui l’héritière définitive de Llanfeare. Elle le sentait bien. Elle comprenait à son attitude qu’il savait sa résolution de ne pas prendre l’argent de son cousin.

Elle ignorait d’ailleurs qu’il eût eu le matin même un entretien avec son père ; mais elle ne doutait pas qu’il ne connût sa résolution. Comment pouvait-elle se fâcher contre lui ?