Page:Trollope - Le Cousin Henry.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Voyons, Isabel, laissez-moi vous donner un avis. Il n’est pas possible que vous soyez assez injuste à l’égard de M. Owen pour lui laisser croire un moment que vous refuserez l’argent de votre oncle. Pensez à sa position, environ deux cent cinquante livres[1] par an ! Avec vos deux cents livres[2], ce serait le bien-être ; sans cet argent, vous serez terriblement pauvres.

— Pensez-vous que je n’y aie pas réfléchi ?

— Je suppose que si. Mais vous êtes si étrange, si obstinée, si différente de toutes les jeunes filles que j’ai vues ! Je ne comprendrais pas que vous eussiez le front de refuser l’argent, pour aller ensuite manger son pain. »

C’était là de malheureuses paroles, surtout dans la bouche de Mrs. Brodrick. Elles donnèrent à Isabel le courage de faire une réponse catégorique. Jusqu’alors, sa belle-mère avait conservé la certitude que le mariage se ferait, malgré les premiers refus de la jeune fille ; mais Isabel était amenée à formuler maintenant un refus énergique et décisif.

« J’y ai réfléchi, dit Isabel, j’y ai réfléchi bien souvent, et je me suis dit à moi-même qu’il n’y aurait pas d’expression pour qualifier une conduite si vile. Quoi vivre sur ses modiques ressources, après lui avoir refusé ma fortune, quand on croyait qu’elle serait si considérable ! Certainement non, je n’aurai pas le front de le faire, ni le front, ni le courage. Il y a des actions ignobles qui ne se peuvent faire que par une audace à laquelle je ne saurais atteindre.

— Alors, vous accepterez l’argent de votre cousin ?

— Certainement non, dit Isabel ; ni cet argent, ni

  1. Environ 6 250 francs.
  2. Environ 5 000 francs.