Page:Trollope - Le Cousin Henry.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la pâleur à la rougeur ; il n’aurait pas tremblé quand elle le regardait en face. Il n’aurait pas été aussi absolument lâche s’il ne s’était senti coupable. Et pourtant, sa raison si droite le lui faisait voir, — maintenant qu’elle n’était plus sous l’empire de la passion : — elle n’avait pas eu le droit de l’accuser en face. S’il était coupable, c’était à d’autres à le découvrir, à reprocher au misérable son acte criminel. C’était son devoir à elle, comme maîtresse de maison, comme nièce de son oncle, de le recevoir chez son oncle à titre d’héritier de leur parent commun. Mais aucun devoir ne pouvait l’obliger à éprouver de l’amour pour lui ; ce n’était pas pour elle un devoir d’accepter même son amitié. Elle sentait pourtant qu’elle avait mal agi en l’insultant. Elle avait honte de n’avoir pas su cacher ses sentiments, et de lui avoir permis d’attribuer son irritation au dépit d’avoir perdu la fortune de son oncle. Elle lui écrivit la lettre suivante :


« Mon cher Henry,

« Ne prenez aucune mesure relativement à l’argent ; je suis absolument décidée à ne pas l’accepter. J’espère qu’on ne l’enverra pas, et qu’on ne me donnera pas ainsi l’embarras de le renvoyer. Il ne pourrait me convenir d’habiter à Llanfeare. Je n’aurais pas de quoi y vivre, sans parler des domestiques. La chose est donc hors de question. Vous me dites que je devrais avoir honte de vous avoir adressé certaines paroles : j’aurais dû, en effet, ne pas vous les dire. J’en suis honteuse et vous envoie mes excuses.

« Votre dévouée,
« Isabel Brodrick. »