Page:Trollope - Le Cousin Henry.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Apjohn eut la pensée de demander au propriétaire de Llanfeare la permission de payer l’argent sur un reçu, non de la fille, mais du père. Isabel le sut ; elle déclara que, si l’on agissait ainsi, elle était déterminée à sortir de chez son père. Elle partirait, sans savoir même où elle irait. Elle ne voulait pas que l’on arrangeât les choses de telle manière, qu’en réalité ce fût l’argent du cousin Henry qui fournît à ses dépenses.

Ainsi, dès son arrivée, Isabel ne fut pas heureuse chez son père. Sa belle-mère lui parlait à peine, et les jeunes filles comprenaient qu’on lui en voulait. Il y avait bien là M. Owen, qui désirait ardemment, la belle-mère ne l’ignorait pas, prendre Isabel pour femme et les débarrasser ainsi d’un fardeau ; avec les quatre mille livres, il pouvait sans doute lui faire un intérieur confortable. Mais la chose lui était difficile, si quelques ressources nouvelles ne venaient point grossir son modeste revenu. Quand même M. Owen aurait la générosité d’épouser Isabel sans aucune fortune, et justifierait ainsi le nom de « bon M. Owen » que lui donnait Mrs. Brodrick en parlant de lui avec ses filles, il était plus flatteur d’avoir en lui un parent pourvu d’une jolie fortune. Pour Mrs. Brodrick, ce refus d’Isabel était absolument inintelligible. Plus le cousin Henry était ladre, plus il y aurait de plaisir à tirer de lui de l’argent. Refuser un legs, parce qu’il n’était pas régulier, était, pour elle, un acte de folie. Si l’on avait refusé le payement de ce legs, à cause de son irrégularité, il y aurait eu de quoi avoir le cœur brisé ; mais que l’on fît de cette irrégularité un motif de refus, elle ne pouvait le digérer. Si elle avait pu faire à sa guise, elle aurait eu bien du plaisir à raisonner à coups de fouet son excentrique belle-fille. Isabel n’était donc pas heureuse chez son père.